Géopolitique : les RH en première ligne
La géopolitique n’est plus une affaire lointaine.
Elle impacte les recrutements, la gestion des talents, la cohésion des équipes.
Les RH se retrouvent en première ligne pour décoder un monde qui bouge.
Et si comprendre la carte du monde devenait une compétence RH à part entière ?
Décryptage d’un lien stratégique entre humains, territoires… et décisions.

Le monde bouge. Et avec lui, les entreprises. Mobilité des talents, tensions internationales, migrations, ruptures d’approvisionnement ou évolutions réglementaires… Ce que nous appelions hier “actualités internationales” influence désormais très concrètement les décisions RH.
Recruter à l’étranger ? Gérer une équipe multiculturelle ? Anticiper les risques pays ? Autant de sujets qui nécessitent une lecture du monde, et pas seulement des CV.
Recrutement international : quand la géopolitique redessine les flux de talents
Pendant longtemps, recruter à l’étranger relevait d’une logique de coût ou de rareté des compétences. Aujourd’hui, les risques géopolitiques entrent en jeu.
En France, les tensions avec l’Algérie compliquent l’accès aux talents tech. « Avec les lourdeurs administratives actuelles, recruter depuis l’Algérie devient un vrai casse-tête », témoigne Wilson Dymala, recruteur pour une ESN Lyonnaise. « Les délais pour l’obtention des visas sont très longs, alors que les clients ont des besoins urgents. »
Ces contraintes géopolitiques poussent les entreprises à redessiner leur géographie du recrutement. « Nous avons dû réorienter notre sourcing vers des pays plus “stables” sur le plan diplomatique. Le Maroc, la Tunisie ou les pays de l’espace Schengen sont devenus des alternatives plus fiables », explique-t-il.
Les dynamiques géopolitiques modifient donc en profondeur la carte mondiale du recrutement. Elles ouvrent aussi de nouvelles opportunités.
Ainsi, selon Courrier international, un nombre croissant d’Américains postulent à des offres d’emploi au Royaume-Uni, notamment dans la recherche scientifique, la gestion et le management.
En cause : les coupes budgétaires opérées par l’administration Trump, qui ont affaibli l’investissement dans certains secteurs publics aux États-Unis.
Pour les entreprises britanniques, c’est une opportunité inattendue : attirer des profils qualifiés, issus d’un marché historiquement peu tourné vers l’expatriation. Cela démontre que la géopolitique peut aussi générer des flux de talents bénéfiques, à condition d’adapter sa stratégie de sourcing.
De la stratégie d’implantation aux décisions RH
Pour contrer ces difficultés, certaines sociétés ont trouvé une solution : s’implanter dans les pays où elles recrutent. C’est le cas par exemple d’Orange, opérateur télécom français. Loin de se limiter à des considérations techniques, ses implantations IT corporate en Inde, Roumanie, Maroc, Tunisie ou Égypte répondent à un triple impératif :
- Optimisation des coûts de structure,
- Adéquation avec les réglementations locales (RGPD, sécurité numérique, etc.),
- Prise en compte des enjeux géopolitiques et souverains.
Derrière chaque choix d’implantation, ce sont aussi des décisions RH majeures qui se dessinent : recrutements locaux, transfert de compétences, pilotage interculturel.
Crises internationales : les RH en première ligne
La guerre en Ukraine a marqué un tournant. En 2022, dans un entretien sur Europe 1, François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), estimait que 2000 PME françaises étaient impactées par ce conflit. Présentes sur les marchés russes ou ukrainiens, certaines ont dû rapatrier leurs collaborateurs, tout en assurant un soutien psychologique sur place.
Mais cette crise a aussi mis en lumière une opportunité RH concrète : l’intégration professionnelle de talents ukrainiens en France.
Le groupe de transport Transdev a recruté près de 1 000 réfugiés en tant que conducteurs, un secteur en grande difficulté de recrutement. «Nous avons une personne à la DRH dédiée à 100% sur ce projet», détaille Édouard Hénaut, directeur France de Transdev dans une interview au Figaro.
Ce type d’initiative prouve que certaines entreprises savent transformer une contrainte géopolitique en levier stratégique RH. En ciblant des profils motivés, parfois qualifiés, et en adaptant leurs processus internes, elles répondent à la fois à des enjeux de recrutement et de responsabilité sociétale.
Équipes multiculturelles : transformer les tensions en atout
Dans les équipes globales, les différences culturelles sont une richesse. Une étude de McKinsey (2020) montre que les entreprises ayant une forte diversité ethnique et culturelle au sein de leurs équipes dirigeantes ont 36 % de chances supplémentaires de surperformer leur marché.
Mais dans des contextes tendus (conflit Israël-Palestine, Ukraine-Russie, tensions Chine-Taiwan), elles peuvent aussi devenir source de tensions internes.
Le rôle des RH est alors de maintenir un cadre psychologique sécurisé, neutre et respectueux. Cela passe par :
- Un leadership interculturel formé,
- Des outils de communication adaptés (profil DISC, intelligence émotionnelle, etc.),
- Une vigilance accrue sur les dynamiques de groupe et les signaux faibles.
Vers une géopolitique des compétences
La dernière variable est structurelle : selon le World Economic Forum, le monde fait face à une pénurie globale de compétences, notamment dans le numérique, la santé et les énergies.
D’ici 2030, 85 millions d’emplois pourraient être déplacés à cause de cette transformation.
Face à cela, les RH doivent passer du mode "recrutement" au mode "stratégie compétences" :
- Requalification interne,
- Partenariats éducatifs internationaux,
- Mobilité croisée et travail distribué (télétravail, digital nomads),
- Intégration des travailleurs immigrés comme réponse partielle aux besoins.
Conclusion : les RH deviennent acteurs géostratégiques
La fonction RH ne se contente plus d’accompagner la stratégie : elle l'anticipe et l’incarne. Dans un monde instable, elle devient un acteur de souveraineté humaine et organisationnelle.
Pour aller plus loin, participez à notre Université d’été, sur le thème de la "Géopolitique et son impact en entreprise". Un atelier consacré aux RH sera animé par un expert de l’Institut Montaigne.