La société au bord de l'Apocalypse ? Interview Olivier Babeau
Le rapport au travail change et les innovations accélèrent le mouvement. Les dernières en date : les nouvelles technologies et l’arrivée de ChatGPT.
Comment appréhender ces changements et en devenir acteurs ?
Olivier Babeau, économiste, président de l’Institut Sapiens et auteur de La tyrannie du divertissement, nous livre sa vision en exclusivité. Il met en lumière les changements sociétaux à l'œuvre et leurs impacts sur la gestion des RH en entreprise.
Quelle est la plus récente et importante innovation aujourd’hui ?
Olivier Babeau : Évidemment l’intelligence artificielle, et pourtant on ne l’a pas vu venir. Il y a encore 6 mois on pensait que les progressions n’étaient pas assez rapides, mais ChatGPT est arrivé et a confirmé l’extraordinaire accélération technologique.
On ne sait pas ce qui va se passer, mais une chose est sûre : l’IA va nous permettre de faire des progrès exceptionnels.
L’IA peut-elle remplacer l’Homme ? Et faire disparaître des emplois ?
On ne va pas être remplacé par l’IA, mais par ceux qui utilisent l’IA. En fait, la disparition des emplois par la technologie existe depuis longtemps, c’est l’histoire de l’humanité.
Avant, il y avait des porteurs d’eau dans Paris, maintenant ils sont remplacés par des gestionnaires de réseau. Pour le moment, les emplois non qualifiés sont protégés car leur remplacement coûte trop cher. Mais les niveaux de qualification moyen peuvent être remplacés, et on le voit : le nombre de secrétaires chute, car les IA peuvent prendre des RDV, faire des résumés… et plus vite.
Notre valeur ajoutée face à l’IA est notre expérience, notre prise de recul, notre capacité à vérifier et à critiquer ce qu’elle fait. Mais aussi à s’en servir comme un levier pour aller plus loin. Cette compétence d’amélioration est difficile, et sera de plus en plus recherchée.
Selon vous, on a basculé dans une culture du loisir. Pourquoi ?
Au XIXème siècle, on travaillait 70% de notre temps éveillé : notre vie c’était du travail avec de rares instants de loisir. Aujourd’hui, on travaille entre 10 et 15% de notre temps éveillé, en faisant 35h et même si on tient compte de la réforme des retraites !
Et cela s’explique par les études, les congés payés, la retraite, l’allongement de l’espérance de vie… Sous Sarkozy, on a demandé aux gens s’ils voulaient travailler plus pour gagner plus. 60% ont répondu oui, aujourd’hui, 60% ont répondu non. Le loisir a gagné sur le travail.
Qu’est-ce qui est à l’origine de cette crise du loisir ?
Les progrès technologiques ont réduit le temps de travail et nous ont fait entrer dans une société de temps libre, de choix.
Aujourd’hui, on ne veut pas renoncer aux fruits de la croissance et aux divertissements, mais on n’est pas prêt à aller travailler pour y arriver.
Le mot de la fin ?
Le monde essaye de nous enfermer dans des bulles, d’exploiter notre attention et de stéréotyper les comportements.
Résultat, on pense moins, on désire moins et on décide moins. C’est à l’entreprise que revient la responsabilité de rétablir ces trois piliers.
Et cela passe par trois choses : éclairer, relier et encourager, à travers ses valeurs, plus de transparence et de simplicité.
Article à retrouver sur dans le numéro 11 du journal Perceptions : Intelligence Artificielle, allons-nous tous disparaître ?