Philippe Pierre : "Certains ont la volonté de vouloir vivre plusieurs vies"
Philippe Pierre (sociologue et consultant en gestion des RH – Directeur du Master de Management Interculturel à Paris-Dauphine) revient pour nous sur les transformations qui ont lieu dans les modes de fonctionnement des entreprises. Avec un renouvellement de génération important, les entreprises, les managers doivent s’adapter et créer des nouvelles façons de travailler. Parmi elles, l’entreprise « en archipel». Philippe Pierre nous explique cette notion qui questionne le sens même du travail.
Vous aimez utiliser l’expression « entreprise en archipel ». De quoi s’agit-il ?
Philippe Pierre : C’est une réflexion sur le sens du travail et le renouveau des formes d’organisation. Je viens d’une génération où au centre de ma vie, il y a la famille, le travail, et tout tourne autour. De plus en plus de personnes n’ont plus cette posture. Elles ont plusieurs vies à vivre, notamment professionnelles, en même temps.
Ces nouvelles générations veulent-elles également donner du sens à ce qu’elles font ?
Je pense que le sens et la reconnaissance sont des notions recherchées depuis toujours. Aujourd’hui, les formes d’expression sont nouvelles et la liberté de ton peut-être plus forte. Il y a une attente d’un cap (pourquoi sommes-nous là ?) et d’un cadre (comment faisons-nous ?). Aujourd’hui, certains jeunes ont la volonté de vivre plusieurs vies et de pouvoir faire le lien au sein des « îlots de cet archipel ». C’est une question à se poser pour les managers : si je veux promouvoir un management de la diversité, vais-je être en situation de diversifier mon propre management ?
«Créer un socle culturel commun»
Le manager doit donc s'adapter ?
Il doit créer un socle culturel commun avec des personnes chez qui on a éveillé l’esprit critique et qui ne vont pas accepter quelque chose dont elles n’éprouvent pas le sens. Cette entreprise en « archipel » est liée à des transformations majeures : la recomposition du nucléus familial, l’omniprésence de la technologie et la contestation des formes d’autorité. Ces 3 facteurs vont certainement dans le sens d’un management plus complexe, et d’une certaine manière, plus enrichissant.
Ce changement est-il aussi à mettre en relation avec la recherche du bien-être ?
Il faut insister sur la notion de bien-être et non de bonheur. Il faut créer un espace pour que se déploient les compétences et le développement des aptitudes. Si l’on veut créer un socle culturel commun, il s’agit pour un manager de s’étonner volontairement. Mettre en place assez régulièrement une note d’étonnement en mots ou en images, systématiser les entretiens de sortie pour mieux comprendre les bonnes raisons des personnes qui nous quittent en bons termes, pratiquer l’immersion (des « vie ma vie » dans un parcours d’intégration). Se questionner et surtout se laisser questionner ! C’est précisément cela qui peut permettre de créer les conditions du bien-être.
L'oeil de l'expertPhilippe Pierre revient également sur l’importance de l’humain au sein des entreprises. « Replacer la dimension humaine au cœur de nos organisations, c’est décrypter la manière dont on fonctionne. Mieux comprendre les formes mêmes d’organisation et leur évolution. Lorsque j’étais DRH, une recrue m’a demandé très sérieusement : «Est-ce que je dois être là tous les jours ?» Cela avait créé en moi un étonnement très fort. Mais si elle exprime ce rapport au temps et un sens du travail différent du mien, c’est qu’elle le pense. Il faut donc la comprendre. Et cela va dessiner d’autres formes d’organisations, moins pyramidales et plus transversales.» |
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