Florent Parmentier : "L’entreprise doit développer une culture de l’incertitude géopolitique"
Alors que les tensions internationales influencent de plus en plus directement les économies et les décisions des entreprises, la géopolitique ne peut plus rester l’apanage des chancelleries. Florent Parmentier, secrétaire général du CEVIPOF et spécialiste des questions géopolitiques, alerte : les entreprises doivent apprendre à naviguer dans un monde incertain.

Bonjour Florent. Vous serez avec nous le 5 septembre à notre Université d'été, avec Cyrille Bret et Laurent Célérier, experts de l'Institut Montaigne.
Pour vous, qu'est-ce que la géopolitique, aujourd’hui ?
Florent Parmentier : la définition classique, c’est la rivalité de puissances sur des territoires. On parle du lien entre problématiques de puissance et d’espace. Mais cette vision centrée sur les États s’est élargie. Aujourd’hui, d’autres acteurs (entreprises, ONG, citoyens ) sont concernés, car la géopolitique a un impact concret sur la vie quotidienne. Ce n’est plus un sujet lointain ou réservé aux diplomates.
Vous parlez de “revanche de la géopolitique”. Pourquoi ce terme ?
Parce qu’il y a eu une époque, dans les années 1990-début 2000, où l’on croyait que l’histoire géopolitique était terminée. Francis Fukuyama parlait de "fin de l’Histoire", Thomas Friedman de "monde plat", dominé par la mondialisation marchande. Or, ces illusions se sont effondrées : la crise du Covid, la guerre en Ukraine, le retour de Donald Trump… autant d’événements qui ont rappelé à quel point l’incertitude géopolitique peut frapper fort et vite.
Pourtant, certains estiment que ces tensions restent lointaines…
Ce serait vrai si l’économie mondiale n’était pas aussi interdépendante. Mais ce n’est plus le cas. L’exemple du porte-conteneurs Ever Given bloqué six jours dans le canal de Suez a suffi à perturber le commerce mondial. Ce n’est pas lointain, c’est structurel. Un goulot d’étranglement en mer Rouge ou une crise dans le détroit d’Ormuz, et ce sont les prix du pétrole, du blé, ou du fret maritime qui s’envolent.
Prenons un cas d’actualité : si le conflit Israël–Iran dégénère ?
La conséquence immédiate serait une flambée des prix de l’énergie. Mais ce choc se diffuse très vite. Un boulanger en France, qui a besoin d’électricité et de gaz pour faire son pain, sera directement affecté. La géopolitique ne concerne pas seulement les multinationales : elle touche tout le tissu économique, y compris les plus petits acteurs.
Pourquoi les entreprises doivent-elles intégrer la géopolitique dans leur stratégie ?
Elles savent très bien gérer le risque, c’est-à-dire ce qui est calculable. Mais la géopolitique relève souvent de l’incertitude, c’est-à-dire ce qui n’est pas prévisible ni chiffrable. Le vrai défi, c’est d’apprendre à faire sens de cette incertitude. Il faut comprendre les signaux faibles, anticiper les points de rupture potentiels, imaginer des scénarios (même improbables) pour ne pas être pris au dépourvu.
Et concrètement, que peuvent mettre en place les entreprises ?
Je plaide, avec deux collègues, pour la création du poste de Chief Geopolitical Officers. Des personnes capables de coordonner, de traduire les analyses géopolitiques en implications concrètes pour l’entreprise. Il ne s’agit pas seulement de cartographier des risques abstraits, mais de relier des évolutions internationales à des choix opérationnels : approvisionnement, implantation, cybersécurité, réputation, etc.
Pourquoi ne pas simplement confier cette veille à des cabinets externes ?
Externaliser peut être utile, mais cela reste insuffisant. Chaque entreprise a ses propres vulnérabilités, selon son secteur et sa présence géographique. Il faut quelqu’un en interne, qui connaisse les rouages, la culture, les priorités de l’entreprise, pour traduire l’analyse géopolitique en décisions stratégiques concrètes.
Avez-vous un exemple d’entreprise qui a anticipé ou profité de ces enjeux ?
Oui, Nokia a récemment recruté un ancien ambassadeur finlandais aux États-Unis et en Russie. Il occupe un poste mixte d’affaires publiques et de stratégie géopolitique. Ce n’est pas juste un conseiller : il est rattaché directement au PDG, ce qui reflète une vraie prise de conscience. Il ne se contente pas d’analyser les crises : il aide à penser les conséquences systémiques pour l’entreprise.
Ces crises sont-elles toujours des menaces, ou peuvent-elles être aussi des opportunités ?
Elles sont aussi des leviers d’opportunités, pour ceux qui savent les lire. Par exemple, les tensions autour du numérique et de la souveraineté ont permis à des acteurs français, comme Mistral AI, de gagner en crédibilité face aux géants américains, jugés moins fiables dans un contexte politique incertain. L’instabilité peut créer un terrain favorable aux acteurs souverains, agiles et résilients.
En une phrase, pourquoi venir à l’Université d’été le 5 septembre ?
Parce qu’on ne va pas seulement parler de géopolitique, on va travailler avec vous sur des cas concrets, pour développer ensemble des outils pratiques face à l’incertitude. Et, qui sait, peut-être transformer une menace en avantage concurrentiel.
Inscrivez-vous à notre Université d'été sur la géopolitique et son impact sur les entreprises, le 5 septembre, à Fontainebleau.