Peut-on parler de résilience aujourd'hui ?
Largement utilisé pour décrire la capacité des individus à s’adapter face à la crise sanitaire, la résilience est très souvent convoquée mais trop souvent « banalisée ». Elle reste néanmoins d’actualité selon Marie-Josée Bernard, professeure de Leadership, développement des personnes, et de l’intelligence collective.
Pouvez-vous nous réexpliquer le concept de résilience ?
Marie-Josée Bernard : Il faut débuter par son origine. La résilience trouve ses racines latines dans le terme Resilio qui signifie rebondir en arrière. Le terme a d’abord été utilisé dans la physique des matériaux et décrivait le phénomène d’absorption des chocs. Il a fait l’objet d’observation sur les coques de sous-marins et sur leur capacité à revenir à la forme initiale. Dans les années 55, Emmy Werner a mené une longue étude sur la vie d’enfants très défavorisés sur une île d’Hawaï. Ces enfants, pour un certain nombre, en grande précarité ont réussi à transformer leurs conditions de vie une fois adulte. C’est ensuite Boris Cyrulnik qui a fait connaître et démocratiser la résilience en Europe.
Pourquoi vous y êtes-vous intéressée ?
À titre personnel tout d’abord car mon parcours m’a amené à moi-même affronter l’adversité. Et à titre professionnel, en accompagnant les entrepreneurs, je me suis rendue compte que le sens de l’entrepreneuriat pouvait être plus fort chez certains. Cela allait au-delà de la simple envie de monter un business ou de la recherche d’optimisation financière. Il y avait un but existentiel dans la création d’une entreprise. J’en ai fait une thèse sur « L’apport du modèle de la résilience dans la compréhension de l’acte d’entreprendre ». Et j’ai poursuivi autour de la perte de l’entreprise et de ce qui se joue quand un dirigeant doit fermer définitivement sa société.
Aujourd’hui, sommes-nous dans un contexte propice à la résilience ?
Bien sûr. On parle de résilience dès qu’il y a un choc traumatique qui nécessite de faire face. La crise sanitaire est un traumatisme. De nombreuses personnes ont été confrontées à la mort d’un proche, à la perte de leur travail, aux difficultés économiques et sociales liées au confinement… Les dégâts psychologiques sont et vont être importants.
Que faut-t-il pour que la résilience se mette en œuvre ?
Il faut de la clarté et de la confiance. On a besoin de récupérer de l’énergie pour retrouver confiance en soi, dans l’environnement et dans les autres. Mais cette crise a aussi mis en lumière des dysfonctionnements, il va falloir faire autrement et adopter une nouvelle stratégie pour faire mieux demain et après-demain. La résilience résulte de cet apprentissage.
On a pourtant l’impression d’apercevoir une reprise …
Justement, attention au risque de déni généralisé. Les acteurs économiques souhaitent redémarrer rapidement. Mais si on repart tout de suite dans le « monde d’avant » nous risquons de revivre ces crises en série. Au contraire, nous avons besoin de prendre conscience des apprentissages de nos épreuves, de prendre du recul sur leurs causes pour déployer une réponse qualitative, qui tienne compte de ce que l’on vient de vivre. Cela demande du temps.
Quel rôle l’entreprise joue-t-elle dans ce processus ?
L’entreprise a un rôle majeur. Elle doit travailler à mettre en place une nouvelle culture managériale et prendre en compte la réalité des faits : le corps social est épuisé, le travail à distance mobilise beaucoup d’énergie. Il faut libérer la parole dans les organisations. Recréer des espaces d’échanges. La machine à café et ses discussions informelles ont disparu, les équipes ont besoin d’avoir du temps pour partager les expériences pour parler de leurs difficultés, de leurs besoins, de leurs aspirations, et de leurs propositions.
Il s’agit de recomposer le tissu social et relationnel et de redonner le goût du collectif et des interactions.